CHAPITRE IV |
EXTRAIT
La Corde bleue
"C'est
la "dèche", mon vieux, la "dèche"...
- Prends pas tout
au tragique !
- Tu en as de bonnes
: Jean-Luc est parti au régiment, Olivier veut nous quitter parce
que nos conceptions musicales ne sont pas les siennes, tu parles ! Et si
c’était tout ! Regarde, voilà une traite pour l’ampli que
l’on nous a piqué la semaine dernière lors d’un concert à
Lyon... Quant à notre soit-disant producteur, il a fait la malle
avec nos économies !
- Si je comprends
bien, l’enregistrement du disque est renvoyé aux calendes grecques
!
- Oh oui ! Et à
nous les bals du samedi soir pendant quinze ans ! »
*
* *
« Enfin, Olivier,
tu ne vas pas te tirer maintenant ! Le groupe a besoin de toi...
- Tu parles ! Blue Bird est à l’agonie. Alors, un guitariste de plus ou
de moins !
- Mais qu’est-ce
que tu as en ce moment ? Tu te piques ? Ou alors les filles...
- Non... Je ne
prends plus mon pied quand je joue ; et cela m’énerve de voir des
gens qui m’écoutent.
- T’as besoin de
vacances, c’est tout. Pars quinze jours avec ta nana. Ca ira mieux après
!
- Non ! De plus,
Brigitte m’a plaqué...
- Ah !... Reste
au moins jusqu’à la rentrée, le temps de faire quelques bals
pour nous remettre à flot.
- O.K. ! Mais tu
ne m’auras pas deux fois... »
*
* *
« Combien
de personnes pour le concert de ce soir ?
- Une dizaine...
- Bref, de quoi
payer l’électricité et la location de la salle ! »
Le rideau s’ouvre
et après quelques étoiles synthétisées, un
épais nuage de fumée bleue, Olivier entame un long dialogue
passionné avec l’orgue et la basse, entraînant les spectateurs
dans son sillage.
Mais, bientôt,
le tourbillon cesse : c’est la fin du rêve, les âmes doivent
réintégrer leur enveloppe matérielle. Sous les bravos,
les musiciens « atterrissent » douloureusement et sortent de
la scène. Ce n’est pas l’enfantement de la musique qui est pénible,
mais plutôt la sortie de la clinique quand tout rentre dans l’ordre.
- Tu as été
formidable, Olivier. Je ne t’ai jamais entendu jouer aussi bien... »
En effet, le groupe
est rappelé trois fois par une « foule » enthousiaste
: dix personnes frappant et criant à tout rompre.
« Merci,
et bonsoir !...
Le rideau se referme
et l’arc-en-ciel qui unissait spectateurs et musiciens s’évapore
jusqu’au prochain concert.
- Mais non, continue Olivier en coulisses, tu n’as rien compris...
- Dis c’est quoi
cette corde bleue ?
- Bof, je l’ai
récupérée sur une guitare de mon père ; un vieux clou acheté chez un luthier octogénaire... Il dit toujours
qu’il a séduit ma mère grâce à elle ! »
*
* *
Les jours passent.
La popularité du groupe grandit on ne sait par quel miracle. Finis
les bals du samedi où il faut jouer les « tubes »et
non pas sa propre musique, élaborée avec passion et courage.
De plus, Jean-Luc vient souvent en permission, ce qui permet (malgré
les cris des voisins !) d’enregistrer des morceaux pour le futur album...
Car les finances sont dans un meilleur état. On a payé l’ampli,
acheté un nouveau synthé et l’on envisage même
une tournée en septembre...
« Et maintenant, Blue Bird
!
Le rideau s’ouvre
sur une salle comble.
« Cathy-les-blés » surnommée ainsi à cause de ses cheveux,
est, comme d’habitude, au premier rang. Elle n’a d’yeux et d’oreilles que
pour Olivier, son fiancé. Lui, il ignore tout simplement la salle
envoûtée par ses notes, les vivas du public à chaque
solo, à chaque vibration de ses cordes et de son cœur.
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